Maison Ciancioni aujourd’hui Pancrazi
Dans un texte intitulé « Le raisin de Raymond »*, Jean Massoni évoque le village à la sortie de la guerre, avec sa jeunesse qui entrait en dansant dans un monde nouveau, une jeunesse qui comprenait des personnalités aussi différentes que Mathieu Nucciu et Raymond Castelli, mais que le rire et la joie réunissaient au-delà de toute autre considération. GP.
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Qu’elle était heureuse la jeunesse il y a soixante-dix ans ! La guerre était terminée; on vivait mieux, il n’y avait plus besoin de “tickets” pour le pain et son accompagnement. Les Américains étaient rentrés chez eux, nous laissant leurs musiques, leur mode de consommation excessive et leurs techniques. Nos concitoyens, parents et amis, partis avant la guerre rentraient pour passer un mois ou deux au village. Tout avait changé ou était en cours de changement. Et si les anciens ne semblaient pas s’en rendre compte, ce n’était pas le cas des jeunes.
On voyait davantage de luxe, de vêtements de couleur, on assistait à l’arrivée des phonographes, de la samba, du foxtrot et du blues. On commençait à vivre comme ailleurs, à Bastia et sur le continent.
Elisa avait ouvert un bar(1) doté d’une petite piste où, tous les soirs après le dîner, on pouvait danser. Des dizaines de jeunes gens et d’adolescents, plutôt des garçons, arrivaient au bar d’Elisa sitôt la dernière bouchée avalée. Rosa descendait munie d’un grand plateau en fer chargé de verres de café. Dès qu’elle apparaissait, Mathieu nucciu (2) disait à haute voix, presque en criant : « Rosa, redresse-toi, tu ressembles au Ville d’Ajaccio ! » A ces mots les gens riaient et plaisantaient…
Et on attendait Raymond (3) qui venait lui aussi, chaque soir, dans le bar d’Elisa. Il était du genre taiseux Raymond et on ne l’entendait jamais élever la voix. Il avait dépassé la quarantaine et nous les jeunes, appréciions sa compagnie car Raymond avait un don : celui d’endormir !
C’est ainsi que chaque soir, pour le voir opérer, le bar était plein de monde et “le Ville d’Ajaccio » chargé de verres, faisait plusieurs voyages.
Les volontaires ne manquaient jamais pour se faire endormir et Raymond faisait faire à ces derniers ce qu’il voulait.
Ange (4), Maurice(5) et moi étions toujours prêts… Un soir, Raymond nous endormit tous en même temps. L’un avait à la main un balai, l’autre le grand plateau de Rosa et le troisième une casserole : nous étions musiciens et formions un orchestre. A notre réveil, à la vue de la joie du public, on comprenait que notre spectacle devait être remarquable…
Dans son jardin, en bordure de la route, Raymond possédait une treille de raisin muscat dont les grains avaient la taille d’un œuf. Un soir après avoir endormi Ange et lui avoir demandé de répéter ses mots, il lui dit : “ Demain, dès ton lever, tu iras à la treille. Tu toucheras une grappe de raisin, tu sentiras une secousse électrique qui te la fera lâcher et tu t’enfuiras aussitôt ”.
Le lendemain matin Ange ne fut pas le seul à se lever tôt. Cachés, nous l’avons vu entrer dans le jardin, toucher une grappe et s’enfuir… Pour se retrouver devant nous tous et Raymond. Dans une grande joie collective !
* http://www.lagazettepietrolaise.fr/La_gazette_pietrolaise/Pe_e_viottule_di_a_memoria.html
(1)Situé dans la maison de la famille Ciancioni, aujourd’hui celle de M. et Mme Pancrazi Serge.
(2)Raymond Castelli, (3) Mathieu Pancrazi qui habitait place Santelli, (4) Ange Straboni, (5) Maurice Straboni