Ange Massei a eu le beau geste de nettoyer le cimetière des Ferrandi envahi par les ronces et dans lequel il n’était plus possible d’accéder. Il lui a ainsi accordé une rémission, avant très vraisemblablement qu’il ne disparaisse à nouveau et peut-être cette fois-ci à jamais.

Dès que l’on franchit la grille, on est frappé par la sobriété du lieu. De simples tombes en pierre brute sont alignées de part et d’autre et au bout d’une petite allée centrale. Au milieu, une croix, elle aussi de pierre, domine l’ensemble de l’espace funéraire, que clôture un  mur grossièrement maçonné.

C’est là que furent enterrés jusqu’au milieu du 20e siècle les Ferrandi, cette famille de Pietra di Verde qui trois siècles durant, a donné à la Corse des hommes politiques, des ecclésiastiques et des chefs militaires, qui ont marqué son histoire.

L’un d’entre eux, François Pitti Ferrandi, qui devint sénateur et qui est encore dans la mémoire des plus anciens, vivait il y a seulement quelques décennies, dans la maison qui est aujourd’hui la propriété d’Antoine Savignoni. On le désignait respectueusement par « u dottore » et l’on s’adressait à lui, en faisant précéder son nom du très révérencieux titre de «  Sgio ». Il fut une sorte de Dieu vivant.

Il était respecté et adulé par ses fidèles qui, quelle que soit leur condition, l’honoraient par des offrandes, qu’ils remettaient par délicatesse à sa gouvernante, en signe de reconnaissance pour ses bonnes grâces passées et à venir.

Aujourd’hui, plus grand monde ne serait en mesure de dire avec précision, y compris à Pietra, qui était le docteur Pitti Ferrandi qui vécut de la fin du 19e siècle jusque dans la première moitié du 20e.

Et le fait que ni ses anciens partisans, ni sa descendance, ne trouvent pas le temps de venir se recueillir sur sa tombe, dans un pays où le culte des morts a encore une place importante, montre combien la chute d’un homme et d’une dynastie peut être rapide et inexorable.

Mais pour le docteur, cet abandon avait déjà commencé de son vivant.

Après avoir été sénateur, il tomba en disgrâce à l’issue de la seconde guerre mondiale. Ayant alors perdu tout pouvoir de donner, le cercle de ses courtisans s’étiola, d’autant plus vite, que l’on sait bien qu’après avoir reçu, et lorsque l’on n’a plus rien à attendre, c’est très souvent la rancœur qui prend le pas sur la reconnaissance.  

La disparition de l’assise immobilière, avec la vente de la maison familiale, a eu pour effet d’accélérer le phénomène d’oubli, dans une famille dispersée, tandis que l’absence d’une sépulture de prestige, ne devait pas permettre à ses derniers fidèles, de maintenir longtemps allumée la flamme du souvenir.

 

 

 

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