Portrait di a Signora Madelena

Née à la fin du 19e siècle, peu nombreux d’entre nous peuvent se prévaloir d’avoir connu Madelena Banghala née Nicolaï, peintre et poétesse.

C’est sur la fin de sa vie, qu’on l’appellera a Signora Madelena. Sauf quelques années au Maroc, où elle connut son mari, elle a habité le plus clair de sa vie dans la maison familiale di u Chernaghiu. C’était la tante de Monette, elle décèdera en 1982.

A Signora, un titre hérité de ses parents u sgio Tumbellu et a Signora Lilina, mais que la communauté villageoise ne transmettait pas automatiquement aux enfants de ceux qui le portaient.

Un titre qui paraît aujourd’hui désuet, comme celui de sgio, mais qui était, pour celui qui avait le privilège d’en voir précéder son nom, une marque de respect, une référence, un exemple, en même temps qu’une reconnaissance.

Aujourd’hui, il n’y a plus de sgio ou de Signora, tout va trop vite, on est porté aux nues ou voué aux gémonies, parfois d’un instant à l’autre, selon l’humeur du moment, ou l’intérêt que l’on y trouve.

Le village

A Signora peignait le village, qui lui inspirait aussi des poésies beaucoup in lingua nustrale*. Sa participation à l’enrichissement culturel du village, lui valait le respect.

La sérénade

Le respect car nombre de piétrolais étaient eux aussi à cette époque, poètes, compositeurs, conteurs, improvisateurs des fameux chiame e rispondie, interprètes de paghiele de tribiere et de lamenti, donneurs de sérénades…

Des modes d’expression artistique, mais aussi une façon de raconter la vie, d’exprimer ses peines, plus rarement ses joies, de déclarer sa flamme à sa bien-aimée, des moments de très forte convivialité qui renforçaient les liens entre tous.

Femmes récitant leur rosaire

A Signora Magdelena a fait partie de cette dernière génération de cet autre monde d’un peuple à forte identité, qui avait une culture du quotidien, une langue et des valeurs assumées que la peintre a traduites dans ses œuvres.

L’identité corse se dissout lentement, la culture est devenue trop académique, la langue enseignée à l’université a une consonance de solécisme, pour ceux qui la parlent couramment. Elle ne pourra remplacer la langue maternelle, avec ses formules idiomatiques qui reflètent l’âme d’un peuple.

Le marié conduit la mariée dans sa nouvelle maison

Quant aux valeurs, celles de solidarité, d’entraide, de respect d’autrui et de reconnaissance, elles tendent à s’effacer, comme c’est le cas partout ailleurs, le profit restant trop souvent la seule boussole, dans une société de plus en plus matérialiste où l’esprit a de moins en moins de place.

La récolte des châtaignes en famille, le retour

C’est en regardant la peinture di a Signora Magdelena, que l’on prend conscience de ce décalage, ce sera le prix à payer au progrès.

Le porteur d’Icones qui effrayait les enfants

Et c’est en cela que la peinture di a Signora présente le plus grand intérêt, car à travers l’art, c’est une évidence, se profile aussi une société qu’elle a su décrire.

Des femmes qui filent la laine              

Les porteuses d’eau

Une société de dur labeur, sans confort, sans commodités, que ne regrettent pas la plupart de ceux qui l’ont connue.

L’enterrement

La peinture di a Signora Magdelena, de caractère naïf au plan du genre, nous révèle cette époque avec un clergé omniprésent, une famille au sens le plus large du terme, qui avait une place fondamentale, supérieure à celle de l’individu qui s’effaçait devant elle.

U Fucone

Peinture d’une famille qui se réunissait autour de ces fucone qui trônaient au sein des foyers et ne s’éteignaient jamais, pour la nourrir, la chauffer, et la rassembler à la veillée, pour en quelque sorte s’y recueillir comme devant un autel.

Ils étaient un symbole fort d’unité et de solidarité de la famille, chacun, des plus jeunes aux plus vieux venant l’alimenter et ainsi la perpétuer.

Femme se rendant à un enterrement

Une peinture enfin où domine le noir, pour montrer peut-être, combien au sein des familles souvent très nombreuses, les temps étaient durs, les vies plus courtes et les deuils nombreux eux aussi, pour expliquer encore que les femmes sortaient voilées de noir, comme une marque de respect jusque à l’extrême, des morts comme des vivants.

Femme seule

A Signora Magdelena a peint une Corse en noir, mais une Corse de la dignité et de la fierté, ni rancœur, ni envie, ni rivalité, dignité et fierté, comme des signes de grande noblesse, sa Corse à elle.  

        

Les hortensias

A la fin de sa vie, elle devait peindre un bouquet d’hortensias, peinture singulière, prémonition d’une société aujourd’hui décomplexée, certains diront libérée, par la disparition de ce que l’on appelait la réprobation sociale, règle non écrite de la vie en société.    

*Voir le site de Marc Giorgi

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