Supermarché du temps passé, on y trouvait de tout, épicerie, habillement, chaussures, quincaillerie, outils, peinture, mercerie…Au Mucchiu, dans un espace de quelques dizaines de mètres carrés, on avait en quelque sorte, à la fois Leclerc et Weldom.

On était accueilli par Mathieu, singulier personnage, hors du commun et hors du temps, dont la personnalité dépassait l’aspect commercial du lieu.

Venaient s’y réunir, certes tous ceux qui avaient quelque chose à acheter, mais aussi ceux qui à cette occasion, auraient profité de ce philosophe d’une grande profondeur d’esprit, cultivé comme peu peuvent s’enorgueillir de l’être, une culture acquise pour soi, pas pour la parade.

Un certificat d’études primaires en poche, bien suffisant pour tenir un commerce de village, qu’il revendiquait avec fierté, un des moments les plus forts de son adolescence.

Avec Mathieu, on était en mesure de recevoir sa première leçon d’humilité, en même temps que de grandeur d’âme, qui valait très largement tous les bacheliers et les BAC + je ne sais trop combien.

A l’écouter parler à la perfection, un français châtié dont on pouvait se demander où il l’avait appris, à entendre les raisonnements qu’il tenait et les analyses qu’il faisait, on comprenait vite qu’il y avait au-delà des titres universitaires et des grades ou fonctions mirobolantes, dont chacun d’entre nous a toujours cherché à se parer, l’intelligence, en tant que faculté de connaître et de comprendre, d’accepter la contradiction et la différence, de reconnaître l’importance d’autrui, quel qu’il soit, et de ne retenir de chacun que ce qu’il y a de meilleur.         

L’entrée principale du magasin, comme celle de son domicile situé au- dessus, était à gauche de celle du docteur Ferrandi qui fut sénateur de la Corse.

Les deux maisons étaient contigües, coïncidence étrange ? Peut-être pas, deux fortes personnalités, qui se respectaient, deux intelligences, deux conceptions des hommes, qui avaient conduit le second à entrer en politique, le premier ayant trop le respect de l’homme pour s’y aventurer disait-il.

En entrant, on était saisi par l’exiguïté des lieux, et la présence un peu surréaliste de ce petit homme au physique et au charme d’acteur de cinéma russe des années 50, qui vous accueillait avec courtoisie et simplicité.

Passé les civilités d’usage et parfois un échange sur l’actualité du jour, il demandait invariablement, avec son accent si particulier, par une formule qui lui correspondait: «  tu as besoin de quelque chose ? »

Tout le monde recevait le même accueil, les enfants à qui il s’adressait comme à des adultes, ce qui n’était pas dans les mœurs de l’époque, de même que ceux, trop nombreux en ces temps là, dont il savait qu’ils ne paieraient que « plus tard », qu’il servait comme tout à chacun, sans jamais avoir le moindre comportement allusif à leur situation.

Lorsque l’on s’en étonnait, il répondait invariablement par des formules telles que : « Tu n’aurais pas voulu que je refuse les chaussures pour la rentrée des classes ? »

Une échoppe de la Corse profonde, que l’on vit évoluer avec deux signes qui allaient sceller sa disparition à la fin des années 70, l’arrivée du jambon de Paris, qui fit fureur et la disparition du vrac, précurseur des self-services… et du prêt à penser.

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